La carabine à neige

Dans la montagne au dessus de lui, il entend soudain un grondement sourd dont le bruit enfle et s’amplifie, roule entre les parois des rochers et écorche ses oreilles.

Il n’y a plus de doute possible ; une avalanche s’est déclenchée. Une boule de neige énorme, cent, mille, dix mille fois plus grosse que celle qu’il tenait en ses mains, enfant, fonce sur lui en geignant et feulant.

Le monstre froid et mortel saute par dessus les rochers, galope sur la pente, prend de la vitesse et ne se contient plus. Il bondit sur sa proie comme le lion sur la gazelle et ouvre sa gueule blanche alors que ses griffes giflent l’air et le rayent.

Il s’éveille soudain, haletant, un voile blanc et glacé passant sur son visage. Dix fois dans la nuit le même mauvais rêve le réveille et dix fois il se rendort.

Au matin, la journée chasse les songes ; pourtant le soir ils reviennent au galop. C’est décidé, cette nuit, il ne laissera pas l’avalanche l’engloutir.

Il se couche avec, dans les plis de ses rêves, une carabine à neige. Une carabine à neige c’est comme une carabine, mais elle tire des flammèches pour disperser l’avalanche. Lorsque celle-ci fait de nouveau entendre son grondement, il sort l’engin de sous sa cape, ajuste son tir, et droit, courageux, habile, il tire en plein dans l’avalanche. (Notez qu’il ne faut pas être bien malin pour tirer dedans tellement elle est imposante ; mais enfin, il faut bien trouver une qualité à ce personnage, et son habileté au tir en est une).

Bref. À peine le coup parti que les flammèches montent à l’assaut de la masse neigeuse. Elles dansent et l’attaquent, la lèchent et la séduisent, finalement la dispersent en des millions de flocons qui se mettent, jaloux les uns des autres, à voleter dans l’air, libres et indépendants. Des millions de flocons, c’est bien plus inoffensif qu’une avalanche.

Des étoiles à cinq branches chatouillant ses cils et éclairant ses cheveux, la tête penchée, la gorge ouverte, il aspire ces légèretés blanches et fidèles virevoltant au dessus de lui. Il s’apaise de cette danse blanche dans le jour gris.

Autour de lui, la montagne est redevenue paisible. Il range sa carabine à neige. Il n’a plus peur de l’avalanche car elle n’existe plus et ne peut plus l’engloutir.

Il peut dormir.

Clémence Marchal, © Conte de Soie

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